06 février 2025Un collier de perles sur un filament cosmique

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Les filaments sont des structures minces et filiformes de matière noire, de gaz et de galaxies, formant un réseau complexe connu sous le nom de toile cosmique. Les modèles théoriques prédisent qu’ils attirent et canalisent le gaz froid pour alimenter la formation d’étoiles dans les galaxies. Une équipe internationale comprenant deux chercheurs de l’Observatoire astronomique de Strasbourg a découvert pour la première fois une douzaine de nuages d’hydrogène massifs le long d’un filament. Le filament est également très inhabituel : il comprend aussi une chaîne exceptionnellement étroite et rectiligne de huit galaxies.

Credits: Arabsalmani et al (2025, 2022)/ORIGINS

Arrière-plan : Un filament cosmique avec huit galaxies (carrés jaunes) en ligne droite. L’image d’arrière-plan provient du relevé optique Pan-STARRS de l’université d’Hawaï, accessible au public. En bas à droite : Positions des nuages massifs de gaz sombre le long du filament (carrés bleus). En haut à gauche : Galaxie avec une distribution de gaz en forme de papillon (en vert) et une distribution d’étoiles en forme de spirale (en violet). Crédits image : Arabsalmani et al (2025, 2022)/ORIGINS.

Des simulations sur superordinateur montrent que l’architecture de l’Univers aux plus grandes échelles – où les galaxies ne sont que des points – présente une sorte de structure en nid d’abeille. La matière noire, le gaz et les galaxies sont répartis sur un immense réseau de filaments, de parois et de nœuds. Entre les deux, il y a de grandes zones relativement vides. Les filaments filiformes sont les plus grandes structures connues du cosmos. Ils sont principalement constitués de gaz diffus de faible densité et ne sont que très peu habités par des galaxies. Dans les simulations, ils apparaissent comme des autoroutes cosmiques entre les nœuds des amas de galaxies : le gaz peut s’y écouler et les galaxies s’y déplacer. Une équipe dirigée par Maryam Arabsalmani, titulaire d’une bourse Vera Rubin au sein du laboratoire ORIGINS, a découvert un filament étonnamment étroit et rectiligne composé de huit galaxies et y a détecté d’énormes nuages de gaz sombre. Ces travaux ont été publiés dans la revue Astrophysical Journal Letters.

Tracer la structure de l’Univers

Les observations de la distribution des galaxies dans l’Univers proche montrent un grand nombre de filaments dont la longueur varie de dix millions à plus de 300 millions d’années-lumière. La découverte des huit galaxies, qui sont disposées en une ligne droite inhabituellement étroite à un décalage vers le rouge de z = 0,037, est le fruit d’une heureuse coïncidence. L’équipe a d’abord analysé les propriétés étranges d’une galaxie spirale avec une distribution de gaz en forme de papillon et a découvert qu’elle faisait en fait partie d’un filament de huit galaxies consécutives.

Visualisation des objets étudiés dans l’article avec Aladin Lite. Les 8 galaxies sont indiquées par les symboles jaunes. Les carrés cyan indiquent les positions des sources radio. L’image de fond est le relevé PanSTARRS.
Vous pouvez utiliser la souris pour zoomer ou vous déplacer dans la vue.

En utilisant le Very Large Array (VLA), une configuration de 28 radiotélescopes au Nouveau-Mexique (États-Unis), les chercheurs ont également pu identifier du gaz froid dans un segment du filament sur la base des mesures de la raie de l’hydrogène à 21 cm. « Il s’agit de nuages de gaz sombres et colossaux, avec des milliards de masses solaires. Ce sont des masses de gaz comme celles que l’on trouve dans les grandes galaxies qui forment activement des étoiles », rapporte Maryam Arabsalmani. Cependant, des observations optiques complémentaires avec l’instrument MegaCAM du télescope Canada-France-Hawaii (CFH) situé sur le Mauna Kea à Hawaï, auxquelles ont contribué Pierre-Alain Duc de l’observatoire astronomique de Strasbourg, n’ont montré aucun signe de formation d’étoiles dans ces nuages de gaz. Ces nuages de gaz massifs dépourvus d’étoiles sont probablement situés dans des halos de matière noire dans le filament. L’existence de ces nuages de gaz sombres dans les filaments, prédite par les simulations, semble donc avoir été confirmée par des observations directes.

Rare et étrange

Avec une longueur d’environ 16 millions d’années-lumière et un diamètre de quelques centaines de milliers d’années-lumière, le filament nouvellement découvert est l’un des plus courts et des plus étroits connus à ce jour. En outre, les scientifiques ont observé un segment du filament avec le VLA et ont trouvé, par rapport à des volumes similaires dans le ciel, un nombre de nuages d’hydrogène supérieur à la moyenne. Cependant, sa géométrie et sa morphologie atypiques sont compatibles avec la compréhension théorique actuelle de l’Univers. Florent Renaud, de l’observatoire de Strasbourg, a utilisé son expertise en matière de simulations numériques pour observer que de tels systèmes sont inhabituels et rares, mais qu’ils sont prédits par les modèles théoriques, et qu’on peut les trouver dans la simulation cosmologique Millenium TNG.

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Si l’équipe de recherche pense que ce n’est pas une coïncidence si un filament aux propriétés si inhabituelles présente un certain nombre d’objets intrigants, elle s’interroge sur l’origine du décalage entre l’emplacement du gaz et celui des étoiles. De nouvelles observations couplées à des simulations numériques permettront de déterminer si et comment les particularités observées sont liées à la géométrie spéciale de ce filament inhabituel.

Publication:
M. Arabsalmani, S. Roychowdhury, B. Schneider, V. Springel et al, « Pearls on a string: Dark and bright galaxies on a strikingly straight and narrow filament« , ApJL 2025

Contacts:
P.-A. Duc, pierre-alain.duc@astro.unistra.fr
F. Renaud, florent.renaud@astro.unistra.fr

Voir aussi:
Communiqué de presse ORIGINS.

--- Image sources :

  • Arabsalmani_etal_Filament_PR-Fig1_white_scales: Arabsalmani et al (2025, 2022)/ORIGINS