Une équipe internationale d’astrophysiciens, dont des chercheurs de l’Observatoire astronomique de Strasbourg, a détecté six « galaxies fusionnantes » de notre Voie lactée – ces petites galaxies « étrangères » qui ont successivement fusionné avec la Voie lactée au cours de sa longue histoire de 12 milliards d’années et ont conduit à sa formation. Pour découvrir ces fusions, l’équipe a mis en place une stratégie de recherche unique utilisant des données astrophysiques provenant du satellite Gaia de l’Agence spatiale européenne et des relevés SDSS, LAMOST, APOGEE, entre autres. L’une des six fusions est une nouvelle découverte, que l’équipe a baptisée Pontus. Ils ont de plus découvert qu’une autre fusion détectée, LMS-1/Wukong, représente la fusion la plus pauvre en métaux (c’est-à-dire que les étoiles de LMS-1/Wukong sont, en quelque sorte, 2500 fois plus pauvres en éléments lourds que le Soleil). Cela suggère que LMS-1/Wukong doit s’être formée très tôt dans l’Univers, peut-être quelque 3 milliards d’années après le Big Bang. Ces nouveaux résultats expliquent la genèse de notre Galaxie, en révélant l’arbre généalogique de la Voie lactée.
Un des mystères de l’astronomie moderne est le suivant : comment les galaxies, comme la Voie lactée, se forment-elles dans notre Univers ? Notre compréhension actuelle est que depuis sa formation, la Voie Lactée a grandi en masse et en taille par une série de fusions – attirant des galaxies plus petites et des amas d’étoiles, et faisant de ces étoiles étrangères les siennes.
Ces fusions ont lieu dans le halo de la Voie lactée, cette grande région qui entoure le disque et le bulbe de notre Galaxie. Mais détecter ces fusions est généralement une tâche ardue car quand une galaxie étrangère fusionne avec la Voie lactée, d’importantes forces gravitationnelles la mettent en pièces, forçant la destruction de la galaxie en fusion et la dispersion de ses étoiles dans le halo, et aucune signature claire n’est visible. Néanmoins, il est important de trouver et d’étudier ces fusions pour révéler « l’arbre généalogique » des petites galaxies étrangères qui ont contribué à la formation de la Voie lactée.
En outre, comme on peut le voir sur la figure, la Voie lactée abrite une vaste population d’amas globulaires, de courants d’étoiles et de petites galaxies « satellites » ; environ 257 objets au total. Ces objets représentent les structures les plus anciennes de notre Galaxie, et leurs étoiles membres contiennent une fraction très faible d’éléments « lourds » (moins de 10% de celle présente dans le Soleil). Parmi ces objets, les courants C-19, Sylgr et Phoenix sont les trois structures les plus déficientes en métaux de notre Galaxie, avec des teneurs inférieures à 0,1% de celle du Soleil.
Métallicité des étoiles
Le Soleil est composé à 98,5% par les deux éléments atomiques les plus légers de l’univers : l’hydrogène et l’hélium. La somme de tous les autres éléments atomiques plus lourds (carbone, oxygène, fer, etc.) ne représente que 1,5% de la masse totale de notre étoile. La grande majorité de ces éléments lourds est produite au sein des étoiles massives. Lorsque celles-ci atteignent les derniers stades de leur évolution, elles cèdent ces éléments au gaz interstellaire par le biais des vents ou lorsqu’elles explosent en supernovae. De nouvelles étoiles naissent de ce gaz interstellaire désormais enrichi, comme le Soleil il y a 4,5 milliards d’années. Cela implique que les premières générations d’étoiles étaient très pauvres en éléments lourds.
À cet égard, il est intéressant de se demander si ces courants extrêmement déficients en métaux sont nés dans la Voie lactée elle-même, ou s’ils ont été amenés dans notre Galaxie par la fusion d’une autre galaxie ? L’équipe répond à toutes ces questions dans ce nouveau travail de recherche.
Ce travail révolutionnaire, publié dans la revue Astrophysical Journal, démontre la puissance de traitement des ensembles de données astrophysiques de la Voie lactée à l’aide d’algorithmes dernier cri. L’équipe internationale, dirigée par Khyati Malhan (Max-Planck-Institut für Astronomie, Heidelberg), a découvert que notre Galaxie a connu une série de six fusions de galaxies massives. Ils ont utilisé les données cinématiques des 257 objets connus, et en les traçant selon leur énergie et leur quantité de mouvement pour chercher des « groupes » représentant les galaxies en fusion. Pour cela, ils ont utilisé l’algorithme ENLINK, et l’ont couplé avec une procédure statistique pour détecter les « groupes » les plus significatifs.
Ces six groupes comprenaient les fusions précédemment connues Sagittarius, Cetus, Gaia-Sausage/Enceladus, LMS-1/Wukong, Arjuna/Sequoia/I’itoi mais aussi la découverte d’une nouvelle fusion qu’ils appellent Pontus. Dans la mythologie grecque, Pontus (qui signifie » la mer « ) est le nom d’un des premiers enfants de la divinité Gaia (la déesse grecque de la Terre). L’équipe a également suggéré la possibilité d’une septième fusion. En outre, ils ont constaté que 25% des 257 objets susmentionnés tombaient dans l’une de ces six fusions.
Ils ont également découvert que la fusion détectée LMS-1/Wukong était la galaxie parente des courants déficients en métaux C-19, Sylgr et Phoenix. Cela fait de LMS-1/Wukong la fusion la plus pauvre en métaux de notre Galaxie. Puisqu’on estime que C-19 a une métallicité 2500 fois inférieure à celle du Soleil, et le fait qu’elle s’est probablement formée quelque 3 milliards d’années après le Big Bang, cela indique que sa galaxie natale LMS-1/Wukong a dû se former avec une métallicité similaire et à la même époque.
Cette étude a deux grandes implications. Premièrement, elle nous renseigne sur le nombre d’événements de fusion massive (c’est-à-dire N= 6) que notre Galaxie a connus au cours de sa longue histoire de 12 milliards d’années. Deuxièmement, nous comprenons maintenant quel ensemble particulier d’amas d’étoiles globulaires, de courants et de satellites a été amené dans la Voie Lactée à l’intérieur de quelle galaxie parente particulière. Ces résultats passionnants font progresser nos connaissances sur la formation de la Voie lactée, en révélant ces anciennes fusions qui ont contribué à faire de notre Galaxie ce qu’elle est aujourd’hui.
Article: Malhan, K., et al. 2022, ApJ, 926, 107; DOI: 10.3847/1538-4357/ac4d2a https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/ac4d2a
Contact scientifique : Nicolas Martin nicolas.martin@astro.unistra.fr
Contact communication : communication@astro.unistra.fr