Pour la première fois, une équipe de l’Observatoire Astronomique de Strasbourg vient de prédire l’instant auquel les galaxies qui nous entourent ont été illuminées par les toutes premières générations d’étoiles, dans l’Univers très jeune. Cette lumière a été créée au sein des premières galaxies, il y a plus de 13 milliards d’années. Cette illumination ne fut pas instantanée car la lumière a dû se frayer un chemin dans un cosmos alors opaque et froid, en arrachant les électrons de la quasi totalité des atomes présents dans notre Univers et le rendre ainsi totalement transparent.
Dans un article à paraître dans Astrophysical Journal Letters, cette équipe a montré que les galaxies actuelles les plus massives (10 à 100 fois plus lourdes que notre galaxie la Voie Lactée ) ont été illuminées 300 millions d’années après le Big-Bang, tandis que les moins massives (1000 à 10 000 fois plus légères que la Voie Lactée) ont du attendre bien plus longtemps et n’ont vu cette lumière des premières étoiles que 750 millions d’années après le Big-Bang.
La raison en est simple : les galaxies les plus lourdes sont capables de créer leurs étoiles en premier et fabriquent leur propre lumière rapidement. Les galaxies plus légères doivent attendre plus longtemps, le temps qu’elle rassemblent les conditions leur permettant de fabriquer leurs propres étoiles et s’illuminer. Les plus petites galaxies sont quant à elles quasiment incapables d’en fabriquer par leurs propres moyens et doivent attendre que l’Univers deviennent transparent au rayonnement stellaire, pour être illuminées de l’extérieur par des galaxies voisines productrices de lumière.
Qu’en est-il de notre galaxie, la Voie Lactée, et de sa voisine, la galaxie d’Andromède ? Ces prédictions montrent que ces deux galaxies se sont illuminées d’elles-même entre 400 et 500 millions d’années après le Big-Bang, séparément sans s’influencer l’une l’autre et ce malgré leur très grande proximité. Ceci est d’autant plus remarquable que cette paire de galaxies possède comme voisins des amas de galaxies très massifs, comme l’amas de la Vierge, et donc producteurs de grandes quantités de lumière : malgré cet environnement, ces deux galaxies n’ont semble-t-il pas été submergées par le rayonnement de ces amas puissants.
Zoom sur des exemples de galaxies « créées » par la simulation dans la distribution de gaz cosmique 1 milliard d’années après le Big-Bang : dans le panneau en bas en droite, on distingue des disques de galaxies en formation dans cet Univers « virtuel ». Environ 20 millions de galaxies sont ainsi formées et pour lesquelles les instants d’illuminations ont été mesurés. Crédit: Dominique Aubert (ObAS) |
Pourquoi faut-il s’intéresser à la façon dont les galaxies sont éclairées par la lumière des premières étoiles ? Tout simplement parce que cette lumière empêche d’autres étoiles de se former : en réchauffant et en ionisant l’hydrogène, cette lumière rend ce gaz moins propice à se convertir en étoiles. On a donc un scénario complexe, où les étoiles empêchent d’autres étoiles d’apparaître : il faut donc étudier comment ce processus opère pour comprendre les populations stellaires des galaxies actuelles et en particulier les premières et les plus anciennes.
Cet ensemble de prédictions est le résultat d’un défi technologique de tout premier ordre. Pour les réaliser, l’équipe a produit une simulation numérique cosmologique de l’histoire de l’Univers à ces époques : complètement conçue par les équipes de l’Observatoire astronomique de Strasbourg, cette simulation a été capable de reproduire l’émergence des premières structures de l’Univers, la dynamique du gaz et la formation des premières étoiles dans un cosmos ‘virtuel’ couvrant des distances de 300 millions d’années-lumières.
Un défi particulièrement important fut d’être capable de suivre dans cet Univers simulé la propagation de la lumière. A cause de la vitesse de cette dernière, la plus importante qui soit, les calculs liés à cette physique sont extrêmement longs et exigeants. Afin de les rendre supportables, les équipes de l’Observatoire ont utilisé une nouvelle technologie où ces calculs sont confiés à des cartes graphiques. Ces cartes, habituellement dédiées aux tâches de rendus 3D dans les jeux vidéo par exemple, sont d’excellents outils de calcul pour peu que l’on sache les utiliser. L’équipe de Strasbourg est la seule dans le monde capable de les exploiter à des fins de simulations cosmologiques.
La simulation cosmologique utilisée ici a nécessité 32 768 processeurs de calculs associés à 4096 cartes graphiques, installés sur le plus grand super-calculateur américain, Titan, propriété du Département de l’énergie et installé à Oak Ridge. Environ 20 millions d’heures de calcul ont été nécessaires pour la production de cette simulation au cours du premier trimestre 2017 : ces ressources ont été rendues disponibles grâce à un succès à l’appel annuel pour calculsexceptionnels INCITE, succès remporté par la collaboration CoDa et à laquelle appartient l’équipe de Strasbourg. Le volume de calcul et l’ampleur des ressources utilisées font de cette simulation l’une des plus grandes jamais réalisées pour étudier ces époques reculées.
L’histoire de la création et de la propagation de la lumière des premières étoiles dans les premières galaxies. L’image de gauche est une frise temporelle et le temps s’écoule de bas en haut. La largeur de la bande couvre une distance d’environ 30 millions d’années-lumière.
Le Big-Bang est en bas. Au fur et à mesure que le temps d’écoule, des bulles apparaissent (en vert foncé) autour des premières galaxies (tracées par les régions rouges à haute température). Les étoiles qui sont apparues dans ces dernières ont produit un rayonnement qui s’est répandu dans le gaz environnant, donnant ces bulles chaudes, ionisées et transparentes. En haut, 1 milliard d’années se sont écoulées, les bulles ont grandi et ont fini par fusionner : à cet instant, l’Univers est devenu complètement transparent à la lumière des premières étoiles. Cette frise a été crée à partir d’une simulation similaire Crédit: Nicolas Deparis, Dominique Aubert (ObAS) |
Référence de l’article : The inhomogeneous reionization times of present-day galaxies, Dominique Aubert, Nicolas Deparis, Pierre Ocvirk, Paul R. Shapiro, Ilian T. Iliev, Gustavo Yepes, Stefan Gottloeber, Yehuda Hoffman, and Romain Teyssier. ApJL 856, L22.
Contact : Dominique Aubert, dominique.aubert@astro.unistra.fr, Observatoire Astronomique de
Strasbourg, 11 rue de l’Université, 67 000, Strasbourg