02 mars 2022Les vents d’une étoile à neutrons dévorant son compagnon

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En utilisant les télescopes les plus puissants au sol et dans l’espace, une équipe d’astronomes a découvert pour la première fois des bourrasques de vents chauds, tièdes et froids soufflés par une étoile à neutrons pendant qu’elle dévore la matière d’une étoile voisine. Cette découverte permet de mieux comprendre le comportement de certains des objets les plus extrêmes de l’univers.

Les binaires X à faible masse (LMXB) sont des systèmes contenant un objet compact: une étoile à neutrons ou un trou noir. Ils sont alimentés par la matière arrachée à une étoile compagnon, un processus connu sous le nom d’accrétion. Le plus gros de l’accrétion se fait lors d’éruptions violentes, au cours desquelles la luminosité des systèmes augmente de façon spectaculaire. Dans le même temps, une partie de la matière qui spirale autour de l’objet compact est propulsée dans l’espace sous la forme de vents et de jets.

Vue d’artiste de la LMXB Swift J1858. Image: Gabriel Pérez (IAC)

Les signatures les plus courantes de la matière s’échappant des objets astronomiques sont associées à du gaz « tiède ». Malgré cela, seuls des vents de gaz « chaud » ou « froid » avaient été observés dans les binaires X variables, jusqu’à présent. Dans cette nouvelle étude, une équipe de chercheurs de onze pays a étudié la récente éruption de la binaire à rayons X connue sous le nom de Swift J1858. Ils ont utilisé une combinaison de télescopes, dont le télescope spatial Hubble (HST) de la NASA, le satellite XMM-Newton de l’Agence spatiale européenne, le Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire Européen Austral et le Gran Telescopio Canarias (GTC) espagnol.

Les résultats, publiés dans la revue Nature, ont montré des signatures persistantes d’un vent tiède dans les longueurs d’onde ultraviolettes survenant en même temps que les signatures d’un vent froid dans les longueurs d’onde optiques. C’est la première fois que des vents provenant d’un tel système sont observés dans différentes bandes du spectre électromagnétique.

L’auteur principal, le Dr Noel Castro Segura, de l’Université de Southampton, déclare : « Les éruptions comme celle-ci sont rares, et chacune d’entre elles est unique. Normalement, elles sont fortement obscurcies par la poussière interstellaire, ce qui rend leur observation très difficile. Swift J1858 était spéciale, car même si elle est située de l’autre côté de notre Galaxie, l’obscurcissement était suffisamment faible pour permettre une étude complète à plusieurs longueurs d’onde. »

Le co-auteur Georgios Vasilopoulos, de l’Observatoire de Strasbourg, ajoute : « L’étude des événements transitoires était assez difficile, mais elle progresse vraiment aujourd’hui à l’ère des études multi-longueurs d’onde. Dans le cas de J1858, le voyage a été long depuis sa première découverte avec certains des plus grands télescopes terrestres et observatoires spatiaux, et chaque étape a permis d’acquérir des connaissances uniques sur la nature du système et de découvrir des propriétés observées pour la première fois dans les binaires à rayons X en accrétion. Notre curiosité n’aurait pas pu rêver d’un système plus intriguant ».

Le Dr Castro Segura poursuit « Tous les astronomes du domaine étaient incroyablement excités, au point que nous avons combiné nos efforts pour couvrir l’ensemble du spectre électromagnétique ». C’était la première fois que ce type d’expérience réussissait, comme le souligne le coauteur, le Dr Hernández Santisteban, de l’Université de St Andrews : « Un seul autre système – le trou noir binaire à rayons X, V404 Cyg – a montré des propriétés similaires. Cependant, notre tentative de réaliser la même expérience sur ce système a échoué, car l’éruption s’est terminée avant que nous ayons pu l’observer simultanément avec les télescopes terrestres et spatiaux ». 

La co-auteure Nathalie Degenaar, de l’Université d’Amsterdam, ajoute : « Les étoiles à neutrons ont une attraction gravitationnelle considérable qui leur permet d’engloutir le gaz d’autres étoiles. Ces cannibales stellaires mangent toutefois salement, et une grande partie du gaz que les étoiles à neutrons attirent vers elles n’est pas consommé, mais projeté dans l’espace à grande vitesse. Ce comportement a un impact important à la fois sur l’étoile à neutrons elle-même et sur son environnement immédiat. Dans cet article, nous faisons état d’une nouvelle découverte qui fournit des informations essentielles sur les habitudes alimentaires désordonnées de ces gloutons cosmiques ».

En plus de découvrir les différents types de vents, l’équipe a pu étudier l’évolution temporelle du gaz qui s’échappe. Ils ont constaté que le vent tiède n’était pas affecté par les fortes variations de la luminosité du système. L’absence d’une telle réponse était auparavant une prédiction théorique non confirmée basée sur des simulations sophistiquées.

« Dans cette recherche, nous avons combiné les capacités uniques du HST avec les meilleurs télescopes terrestres, comme le VLT et le GTC, pour obtenir une image complète de la dynamique du gaz dans le système, du proche infrarouge à l’ultraviolet. Cela nous a permis de dévoiler pour la première fois la véritable nature de ces puissants déversements de gaz », a déclaré le Dr Castro Segura.

« Notre compréhension de ce qui cause ces vents, et de leur rôle fondamental dans l’évolution de ces systèmes au fil du temps, est au mieux sommaire », a déclaré le co-auteur, le Dr Knox S. Long, astronome émérite au Space Telescope Science Institute. « Je suis très enthousiaste car nos découvertes nous ouvrent une nouvelle fenêtre sur ces phénomènes et pourraient, à terme, nous aider à mieux comprendre les conditions physiques requises pour alimenter les vents dans un plus grand nombre d’objets astrophysiques », a-t-il poursuivi.

« Les nouvelles perspectives offertes par nos résultats sont essentielles pour comprendre comment ces objets en accrétion interagissent avec leur environnement. C’est important, car en rejetant de l’énergie et de la matière dans la Galaxie, ils contribuent à la formation de nouvelles générations d’étoiles et à l’évolution de la Galaxie elle-même », conclut le Dr Castro Segura.

Remerciements
L’étude a été financée par des subventions d’organismes tels que le Science and Technology Facilities Council (STFC) et la NASA, entre autres.

Contact scientifique
Georgios Vasilopoulos – georgios.vasilopoulos@astro.unistra.fr

Contact presse
Sébastien Derriere – sebastien.derriere@astro.unistra.fr

Article
“A persistent ultraviolet outflow from an accreting neutron star transient” publié dans Nature : https://www.nature.com/articles/s41586-021-04324-2. Article en accès libre : https://rdcu.be/cH5AH

Autres communiqués sur ce résultat :
University of Southampton (anglais)
https://www.southampton.ac.uk/news/2022/02/neutron-star-warm-winds.page
IAC (espagnol)
https://www.iac.es/es/divulgacion/noticias/descubren-fuertes-vientos-templados-durante-la-erupcion-de-una-estrella-de-neutrones