Pour la première fois, une équipe de l’Observatoire Astronomique de Strasbourg a entraîné une intelligence artificielle à simuler la lumière des toutes premières galaxies de l’Univers. Dans un article à paraître dans la revue
“Monthly Notices of the Royal Astronomical Society”, l’équipe a montré que l’utilisation de réseaux de neurones
à convolution permet un apprentissage de la physique de l’interaction rayonnement-matière dans l’environnement
de ces galaxies. Un tel apprentissage permet d’émuler des simulations de ce phénomène sans résoudre les systèmes complexes d’équations différentielles couplées qui sont au coeur des codes de simulations utilisés normalement pour étudier le phénomène. Un tel modèle est environ 100 fois plus rapide que les simulations classiques et produit une émulation de simulation en seulement quelques minutes.
Plus précisément, le modèle mis au point permet de simuler l’époque de réionisation de l’Univers. Cette période
est la dernière transition majeure que le gaz d’hydrogène du cosmos a subi dans l’histoire d’évolution de l’Univers
entre le Big-Bang et aujourd’hui. Cette dernière s’est déroulée durant le premier milliard d’année de l’Univers, soit
il y a environ 13 milliards d’années. Cette transition est la conséquence de l’émission de photons très énergétiques
par les premières étoiles dans les premières galaxies, qui vont progressivement ioniser et chauffer le gaz d’hydrogène autour d’elles. Cela va créer des “bulles” d’hydrogène ionisées en expansion autour de ces sources de rayonnement, jusqu’à ce que ces différentes bulles fusionnent entre elles, laissant ainsi un Univers complètement ionisé, environ un milliard d’années après le Big-Bang.
Comprendre le déroulé exact de cette période est de prime importance pour la communauté scientifique en vue
d’expliquer le mécanisme de formation et d’évolution des galaxies. Avoir un point de vue détaillé du processus
permettra notamment d’expliquer la morphologie et le nombre d’étoiles observées dans des galaxies comme notre
Voie Lactée ou notre voisine la galaxie d’Andromède. L’observation de cette transition est très compliquée du fait
qu’il faille regarder à des époques très reculées, ce qui correspond à regarder très loin dans le cosmos. La venue
de la prochaine génération de téléscopes spatiaux et au sol promet l’observation de l’époque de réionisation à
l’horizon 2025-2030. En attendant, la communauté s’attèle à la modélisation du phénomène grâce aux simulations numériques en vue d’interpréter théoriquement les futures observations.
Les simulations de l’époque de réionisation sont très compliquées du fait de la gamme d’échelles spatiales à prendre en compte et de la vitesse de la lumière qui est la contrainte à respecter pour suivre la propagation du rayonnement. Ainsi, les dernières générations de simulations requièrent des millions d’heures de calculs et l’utilisation des plus grands supercalculateurs du monde. Un des objectifs est de trouver un moyen pour accélérer ces calculs. Plusieurs propositions existent actuellement mais elles ont toutes en commun de sacrifier la précision des résultats.
Dans ce contexte, l’équipe de Strasbourg a eu l’idée d’utiliser des simulations de l’époque de réionisation préexistante comme base pour entraîner une intelligence artificielle à comprendre la physique en jeu dans ces modèles. L’intelligence artificielle ainsi entraînée permet d’obtenir la carte d’ionisation du gaz à tous les instants pendant l’époque de réionisation durant le premier milliard d’années de l’Univers. Une telle technique reproduit des résultats de simulations très rapidement avec une très bonne précision et ne pourra qu’être améliorée dans un proche futur.
Cette étude est le point de départ d’une future génération de codes de simulation numérique en astrophysique
basés sur l’intelligence artificielle. De tels outils permettront aux cosmologistes à travers le monde de faire leurs
propres simulations de manière spectaculairement plus rapide qu’auparavant. Cela permettra d’étudier de manière
très efficace divers scenarii théoriques du déroulé de l’époque de réionisation avant la venue des futures observations.
Référence de l’article : A deep learning model to emulate simulations of cosmic reionization. Jonathan Chardin,
Grégoire Uhlrich, Dominique Aubert, Nicolas Deparis, Nicolas Gillet, Pierre Ocvirk, Joseph Lewis accepté le 07
septembre 2019 par Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
Contact : Jonathan Chardin, jonathan.chardin@astro.unistra.fr, Observatoire Astronomique de Strasbourg, 11 rue
de l’Université, 67 000, Strasbourg
Le site Recherche de l’Unistra a consacré un article sur le sujet.